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Comment les algorithmes réécrivent les médias

Laurence Dierickx

2019-08-13

« Automating the news. How algorithms are rewriting the media » de Nick Diakopoulos explore les enjeux et possibilités d’une information pilotée par des algorithmes, souligne les bénéfices d’une hybridation journaliste-machine, sans pour autant éluder les risques liés au phénomène.


Phénomène émergent de cette décennie, l’automatisation gagne de plus en plus de rédactions américaines et européennes. Elle a pour effet de modifier tantôt la manière dont les journalistes travaillent, tantôt celle dont s’organisent les processus éditoriaux. Susceptible d’être implémentée à chaque étape du travail journalistique – de la collecte à la production automatisée d’informations –, elle esquisse une nouvelle ère où algorithmes et journalistes seront davantage appelés à travailler main dans la main. Le chercheur Nicholas (Nick) Diakopoulos (Northwestern University School of Communication Department of Communication Studies) y consacre un brillant ouvrage, dans lequel il en analyse et décortique les rouages. Intitulé « Automating the news. How algorithms are rewriting the media », ce livre se parcourt en six chapitres thématiques qui ont pour objet d’expliquer les possibilités et limites des systèmes automatisés, et d’analyser les enjeux pour l’avenir de la profession.

En premier lieu, les développements de systèmes d’automatisation et de l’intelligence artificielle dans les rédactions porte les promesses de nouvelles formes de travail hybride qui suppose le développement d’une « pensée computationnelle ». Diakopoulos la définit comme étant la meilleure manière d’utiliser un ordinateur pour résoudre un problème. Il souligne également que la conception d’algorithmes est désormais une « nouvelle manière de faire du journalisme », et que celle-ci implique que les responsabilités éthiques professionnelles soient embarquées dans le code informatique. Un algorithme n’est ni neutre ni objectif, dès lors qu’il procède d’une série de choix posés par des humains. Par ailleurs, les processus algorithmiques ne sont pas dénués de limites : il s’agit de celles de la communication complexe, de la pensée experte et de la créativité.

Data mining et production automatisée de contenus journalistiques

Les techniques de fouille de données (data mining) sont l’une des applications pratiques de ces nouvelles formes de journalisme. Elles peuvent être très utiles aux journalistes lorsqu’il s’agit de trouver des informations dans de larges volumes de données et de les mettre en relation entre elles. La manière dont l’ICIJ a travaillé sur les données des Panama Papers illustre cette possibilité, qui permet non seulement d’explorer des millions de documents, mais aussi de donner de premiers éclairages à partir duquel les journalistes peuvent travailler. Plusieurs autres aspects peuvent également traités via des techniques de data mining : le monitoring d’informations, les analyses prédictives et la contextualisation. Elle peut aussi permettre de détecter la valeur informative d’un fait, comme c’est le cas en Suède via le projet Newsworthy, développé par le collectif Journalism++ ; et en Suisse, avec le projet Tadam, piloté par le groupe Tamedia, qui assiste les journalistes dans leur travail quotidien.

Autre facette de l’automatisation, celle de la production de contenus journalistiques qui n’est pas sans soulever certaines angoisses professionnelles, liées à un remplacement du journaliste par la machine. Jusqu’à présent, indique Diakopoulos, celles-ci ne sont pas justifiées. Au contraire, observe-t-il, elle fait émerger de nouvelles fonctions au sein des rédactions américaines telle que celle du méta-journaliste, qui va rédiger des templates de textes destinés à être automatisés ou celle d’éditeur de contenus automatisés, dont la tâche consistera à assurer la maintenance des productions dans le temps. Car il s’agit là de deux aspects essentiels de l’automatisation de la production d’informations : d’une part, il s’agit de s’assurer que les données répondent aux exigences journalistiques d’exactitude et d’actualité (sans données de qualité, pas d’information de qualité) ; d’autre part, un domaine d’application donné n’est pas figé une fois pour toutes dans le temps, ce qui peut également conduire à des modifications dans la manière dont sont produits les contenus. Le potentiel des systèmes d’automatisation sont ceux de la rapidité d’exécution, d’un traitement à grande échelle et de la personnalisation en fonction des caractéristiques de l’audience auquel le contenu s’adresse. Et si l’on pense généralement à des textes lorsque l’on évoque ce phénomène, il ne faudrait pas oublier que d’autres types de contenus sont automatisables, comme les vidéos et les visualisations de données. Chaque système de génération automatique de contenus renferme des décisions éditoriales (quoi dire ou montrer, et comment le dire ou le montrer), et sera lié à un domaine d’application en particulier dont la connaissance est un préalable à l’automatisation. Ses limites sont celles d’un manque de flexibilité, d’un manque de qualité dans l’écriture constaté dans plusieurs travaux de recherche, et d’un nécessaire contrôle humain. Ses dangers sont ceux de la manipulation d’informations (en matière d’image, en particulier, comme l’illustre le phénomène des deep fakes).

Investiguer les algorithmes

Diakopoulos s’aventure également sur le terrain des newsbots, qui automatisent des contenus pour les réseaux sociaux, et dont le potentiel réside dans les interactions et l’engagement des audiences. Là aussi, se cache la face sombre du danger de la manipulation d’informations. Le cinquième chapitre est consacré aux nouvelles formes de distribution de l’information, pilotées par un environnement commercial dont Google et Facebook, par exemple, illustrent parfaitement la logique. L’auteur clôture ce tour d’horizon sur les algorithmes à la source de prises de décision dans une variété de domaines (justice criminelle, éducation…) : il s’agit là de l’un des enjeux majeurs de société, dès lors que ces algorithmes ne sont pas à l’abri d’erreurs et de biais. Ces « battements algorithmiques » devraient pouvoir être investigués par les journalistes, eu égard de leurs impacts dans nos vies quotidiennes. L’ouvrage se conclut sur une analyse prospective soulignant le caractère éminemment social et humain de toutes les formes d’automatisation.

DIAKOPOULOS, Nicholas. Automating the News: How Algorithms Are Rewriting the Media. Harvard University Press, 2019.

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