Les enjeux du robot journalisme portent sur des considérations professionnelles, éthiques et économiques. Sur le plan professionnel, la génération automatique de textes dans un contexte journalistique soulève des questions sur le statut et le rôle des journalistes, ainsi que sur la relation homme-machine.
Le développement des technologies de génération automatique de textes en langue naturelle (GAT) intervient dans un contexte particulièrement fragile pour les journalistes et les entreprises de presse, fragilité qui a notamment pour conséquences une rationalisation des moyens, par des jeux de concentrations, et une précarisation croissante du statut et de l’emploi des professionnels de l’information. La dégradation croissante des conditions de travail des journalistes est régulièrement dénoncée par la Fédération européenne des journalistes, qui représente 60 syndicats et organisations de journalistes dans 39 pays. En Belgique, une étude menée en 2013 par l’ULB et l’UGent indiquait que les journalistes travaillent, en moyenne, 44 heures par semaine [1]. Le journalisme, qui compte bien d’avantage de candidats à l’emploi que de postes disponibles, est devenu un métier où il est devenu difficile d’envisager une carrière à long terme – 39% des journalistes français poursuivent une carrière continue sur onze ans et cette proportion passe à 29,5% sur dix-huit ans [2].
Dans un tel contexte, l’arrivée du robot journalisme a des raisons d’inquiéter, d’autant qu’il s’ajoute à quantité d’autres préoccupations telles que la redéfinition du rôle et des missions des journalistes, et la fin d’un monopole sur l’information [3] [4].
Hommes et machines complémentaires
Jusqu’à présent, aucune des technologies de génération de textes en langue naturelle n’a eu un impact sur l’emploi des journalistes, où l’on compose avec le robot journalisme depuis la fin des années 2000. Si des discours pessimistes ont pu se faire entendre (« Pourquoi payer un être humain si une machine peut le faire mieux et plus rapidement ? », demande Van Dalen [5]), d’autres discours plus nuancés font entendre. Ceux-ci défendent que le monde de demain se construira avec les journalistes et avec les machines, ces dernières offrant l’opportunité aux premiers de retourner sur le terrain en s’affranchissant de tâches répétitives et chronophages.
”Je ne peux pas me permettre d’avoir des journalistes qui perdent du temps à répertorier des données. En revanche, j’ai besoin de plus de reportages”, explique Lou Ferrara, directeur de l’Associated Press , qui utilise le logiciel Wordsmith (Automated Insights), notamment pour la rédaction automatique de rapports d’entreprises. Car l’information ne peut se passer de journalistes, dont les spécificités sont aussi celles de l’investigation, de l’analyse, de la mise en contexte, voire de l’opinion [6].
Dans une tribune, Claude De Loupy, co-fondateur de Syllabs, qui commercialise le système de génération automatique Data2Content, estimait que les robots ne vont pas prendre la place du journaliste, dont il juge le rôle indispensable : ”Les robots apportent des points différents par rapport aux journalistes et peuvent même contribuer à l’effort journalistique dans son sens le plus noble en permettant de couvrir un maximum d’informations, même celles qui ne sont pas rentables avec les méthodes traditionnelles”. Et d’indiquer qu’un robot n’est pas capable de corréler des événements, qu’un robot ne dispose pas d’une vision conceptuelle globale, et que le journaliste ”apporte un savoir-faire et une connaissance qui n’est pas encore à la portée des robots et qui ne le sera pas avant longtemps, voire jamais totalement”.
Forces, faiblesses, opportunités et menaces
Van Dalen [5] a identifié plusieurs variables susceptibles d’impacter le statut et le rôle du journalisme, dans le cadre de l’automatisation des processus de production. Elles sont résumées dans le tableau ci-dessous.
Forces | Faiblesses |
Créativité qui permet aux journalistes d’aller au-delà des clichés Flexibilité Sortent de la routine Capacité d’analyse journalistique |
Coûte plus cher Pas la même ampleur de couverture Ne peuvent pas rivaliser avec la vitesse |
Opportunités | Menaces |
Donne plus de temps pour la recherche Pousse à faire un meilleur travail Couverture de sujet à faible audience |
Perte d’emploi Élargissement des domaines de couverture Nouvelles questions éthiques, dont celle de la transparence |
Si les technologies informatiques influencent la manière dont le journalisme se transforme, observe Örnebring, le journalisme est et reste un travail 1) qui se conçoit et s’exécute, 2) qui fait partie d’un processus, 3) qui améliore sa productivité grâce à la technologie, 4) qui fait appel à des compétences [7]. Le robot journalisme bouleverse cette donne.
Références
[1] Raeymaeckers Karin et alli. Le journalisme belge en 2013, un autoportrait. Academia Press, 2013.
[2] Leteinturier Christine. Les journalistes français et leur environnement : 19902012 : Le cas de la presse d’information générale et politique. Éditions Panthéon-Assas, 2014.
[3] Le Cam Florence. L’identité du groupe des journalistes du Québec au défi d’Internet. PhD thesis, Université Rennes 1, 2005.
[4] Mercier Arnaud et Pignard-Cheynel Nathalie. Mutations du journalisme à l’ère du numérique : un état des travaux. Revue française des sciences de l’information et de la communication, (5), juillet 2014.
[5] Van Dalen Arjen. The algorithms behind the headlines : How machine-written news redefines the core skills of human journalists. Journalism Practice, 6(5-6), 2013.
[6] Neveu Erik. News without journalists. Brazillian Journalism Research, Brasília, 6(1) :29–54, 2010.
[7] Örnebring Henrik. Technology and journalism as-labour: historical perspectives. Journalism, 11(1) :57–74, février 2000.