Lev Manovich est né à Moscou, où il étudie la peinture, l’architecture, l’informatique et la sémiotique. Il s’installe aux Etats-Unis en 1981, où il obtiendra un doctorat en études visuelles et culturelles (Université de Rochester). Aujourd’hui, il enseigne à l’Université de New York, et poursuit ses recherches, notamment sur l’étude des logiciels. Il a fondé la Software Studies Initiative en 2007, un laboratoire d’analyse de l’informatique et de la visualisation de données culturelles dans le cadre des sciences humaines numériques (digital humanities). Auteur prolifique également, il a publié en 2001 « Le langage des nouveaux médias » (MIT Press), dans lequel il définit les caractéristiques des médias contemporains (représentation numérique, modularité, automatisation, variabilité, transcodage) en les confrontant à d’autres types de médias (cinéma, photographie, peinture et télévision). Douze ans plus tard, il s’attarde sur les logiciels. « Software take commands » (non traduit). Il y examine leur généalogie, leurs caractéristiques, la manière dont ils façonnent l’expérience de leur utilisateur. Nous vivons dans une culture du logiciel, « une culture où les productions, la distribution, et la réception de la plupart des contenus fait l’objet d’une médiation par le logiciel. »
Une interface sur le monde
Avec le web, écrit Lev Manovich, « le logiciel est devenu notre interface sur le monde, sur les autres, sur notre mémoire, sur notre imagination (…) ». Les logiciels média(tiques) couvrent des applications aussi variées que sont Photoshop, WordPress ou encore Firefox. « Au cours des deux dernières décennies, le logiciel a remplacé la plupart des autres technologies de médias qui avaient émergé au 19e et au 20e siècle. » Dans cette introduction, il s’attache également à définir en quoi consiste l’étude des logiciels (software studies) : quel rôle jouent-ils dans la culture contemporaine, quelles sont les forces sociales et culturelles qui façonnent le développement des logiciels ? Et de citer MacLuhan, selon lequel le message de n’importe quel médium ou technologie produit « un changement d’échelle, de rythme ou de motif qui s’introduit dans les affaires humaines. » Pour Manovich, le logiciel a « perturbé et transformé l’ensemble du paysage des technologies des médias, les professions créatives qui les utilisent, et le concept de média lui-même. »
Une histoire des logiciels
La première partie de « Sotware takes command » s’intéresse à l’histoire de l’invention du média logiciel, dans laquelle les travaux d’Alan Kay, dans les années 1970 et au début des années 1980, jouèrent un rôle important. Manovich définit les caractéristiques du logiciel. A commencer par les algorithmes, différents selon qu’il s’agisse d’un logiciel de traitement de texte ou de traitement d’images. A propos de la visualisation d’informations, l’auteur estime qu’il s’agit « d’un exemple intéressant de technique ‘indépendante’ en raison de la variété des algorithmes utilisés pour représenter visuellement les données ». Pour illustrer son propos, Lev Manovich propose l’étude du cas Photosphop (logiciel Adobe).
« Les techniques, les outils, les conventions des applications de médias logiciels ne sont pas le résultat du passage d’un média analogique à un média numérique (…) Ils sont le résultat d’idées intellectuelles conçues par des pionniers qui travaillaient pour de grands laboratoires, celui des produits actuels développés par les compagnies de logiciels et les communautés open source, celui d’un processus culturel et social mis en place lorsque beaucoup de gens et d’entreprises commencent à les utiliser, et celui des forces du marché du logiciel et de ses contraintes », explique Lev Manovich.
« Le logiciel (…) inclut davantage de contrôle et davantage de manières de représenter les données »
Le média numérique serait ainsi le résultat d’un « développement graduel » et d’une « accumulation » de techniques, d’algorithmes, de structures de données, de conventions pour la réalisation d’interfaces, et de métaphores. Dans la deuxième partie, Lev Manovich aborde les aspects de l’hybridation et de l’évolution des logiciels qui « combinent l’ADN des médias qui y sont apparentés », une forme de « remix » que l’on retrouve notamment dans les mashup. Il y formule l’équation suivante : support (medium) = algorithmes (les noms) + une structure de données (les verbes). Il s’intéresse ici aussi aux formats de fichiers et aux paramètres des logiciels. Et il rappelle qu’il ne faut pas oublier que les pratiques de programmation informatique sont embarquées (embeded) dans une structure économique et sociale, qui imposent leurs contraintes et prérogatives.
La dimension esthétique du logiciel
La troisième partie de « Software takes command » s’intitule « Le logiciel en action ». L’auteur s’intéresse cette fois à un autre logiciel de la suite Adobe, After Effetcts, et aborde les aspects visuels et esthétiques du logiciel (media design).
Dans ses conclusions, Lev Manovich pose plusieurs constats : l’ordinateur est le premier méta support (meta medium – une combinaison de médias existants et à inventer) ; et la « logicielisation » virtualise des techniques existantes et en ajoute beaucoup de neuves qui modifie l’identité de chaque médium qui les utilise. Cette notion d’extension permanente n’est pas sans conséquences : l’utilisation d’algorithmes et de structures de données modifie les moyens/modes de connaissance et en crée de nouveaux.
(L.D.)
Lev Manovich. « Software takes command », Bloomsbury, 2013, 357pp.