Internet et la téléphonie mobile jouent un rôle important dans la circulation de l’information en Afrique, explique Marie-Soleil Frère, maître de recherche au Fonds national de la Recherche scientifique (FNRS) et professeur de journalisme à l’Université libre de Bruxelles (ULB). « Les populations sont mieux informées aujourd’hui qu’il y a quinze ans grâce à ces instruments. Des populations mieux informées, ce sont aussi des citoyens qui deviennent plus exigeants par rapport aux autorités qu’ils ont élues ». Rencontre à l’occasion de la publication de l’ouvrage collectif « Médias d’Afrique, 25 années de pluralisme de l’information », aux éditions Karthala.
Comment les nouvelles technologies ont-elles investi le terrain de l’information au cours de ces dernières années ?
Marie-Soleil Frère : Il y a des différences importantes entre l’Afrique anglophone – en particulier des pays comme l’Afrique du Sud et le Kenya, qui sont très en avance – et les pays francophones, dont un certain nombre a connu des conflits et des crises politiques qui rendent difficiles le développement des nouvelles technologies. Au Centrafrique, l’instabilité politique n’est pas favorable au développement d’infrastructures pour permettre une meilleure pénétration des nouvelles technologies. La pénétration est aussi plus lente parce que le continent est moins bien équipé, les infrastructures sont moins bien développées, à commencer par les infrastructures électriques. Il faut aussi différencier internet et la téléphonie mobile, qui s’est répandue de manière fulgurante, y compris dans les zones où il n’y a pas d’électricité. A tel point aujourd’hui que dans des pays peu électrifié, comme au Congo, est supérieur à 50%. La pénétration d’internet a été plus lente, et reste réservée à une certaine élite citadine, plutôt urbanisée et plutôt jeune. Ce qui va être déterminant dans les prochaines années, c’est l’accès à internet via la téléphonie mobile.
Quel est l’impact sur les médias ?
Dans des pays même faiblement connectés, les journalistes se sont très vite approprié les nouvelles technologies. Ils figurent souvent parmi les mieux connectés et les mieux équipés de leur pays. Au début, les connexions internet ont été limitées, souvent réservées aux patrons de médias. Mais depuis deux ou trois ans, la situation change à un rythme extrêmement rapide. La plupart des journalistes ont maintenant des téléphones qui sont connectés qui leur permettent, à tout moment, de recevoir de l’information. Beaucoup estiment que, aujourd’hui, c’est via Facebook qu’ils accèdent à des documents, des témoignages, des photos. Ils peuvent aussi utiliser ce téléphone pour la messagerie électronique et des recherches sur le web.
Les formations suivent-elles ?
Cela renvoie à la question plus large de la formation des journalistes. Dans la plupart des pays d’Afrique francophone, les structures de formation sont en nombre limité et disposent de peu de ressources. Je ne pense pas qu’elles aient joué un rôle important, la plupart des écoles de journalisme sont elles-mêmes sont sous-équipées. Il y a eu des initiatives d’ONG mais cela reste sporadique et limité. La plupart des journalistes se sont autoformés ou se sont formés entre eux au sein de la rédaction.
Dans une culture des médias radio, internet trouve-t-il sa place ? Peut-on imaginer que la radio soit supplantée dans les vingt-cinq prochaines années ?
La radio a déjà bénéficié du téléphone mobile, dans la mesure où la plupart des gens écoutent la radio sur leur téléphone. Ca modifie profondément les habitudes d’écoute, qui sont individualisées. On a fait une étude au Rwanda, entre 2011 et 2013. Internet pourrait-il devenir un média aussi répandu que la radio ? Il reste des progrès à faire du côté des infrastructures. Un énorme pays comme la République Démocratique du Congo n’est pas encore connecté à la fibre optique. Mais je pense que ces travaux peuvent aller très vite. Même dans les campagnes, de plus en plus de gens transmettent ou reçoivent de l’information via internet.
Quelle est la place des réseaux sociaux et de ce qu’on appelle le journalisme citoyen ?
Il y a des formes de journalisme citoyen qui se sont développés. L’environnement médiatique est moins développé que chez nous, il y a donc de la place pour la circulation d’informations émanant d’autres producteurs de contenus. Comme dans beaucoup de pays d’Afrique, l’identité journalistique n’est pas quelque chose de très bien défini – la plupart des journalistes arrivent au métier sans diplôme, se forment sur le tas avec des pratiques parfois aléatoires, il n’y a pas de carte de presse, il y a des médias en ligne réalisé par un monsieur tout seul dans son salon avec sa connexion, frontière entre jour pro et citoyen est encore plus floue qu’ici. En Afrique, à partir du moment où les entreprises de presse sont beaucoup plus informelles qu’ici, se développera encore dans les années à venir.
Au Burundi, la fermeture et la destruction de radios indépendantes ont amené un groupe de journalistes, SOS Médias Burundi, à informer de la situation via les réseaux sociaux…
C’est un réflexe de survie, à partir du moment où les journalistes ont été privés de leur instrument de travail, ils ont trouvé un autre vecteur. Le problème, c’est de voir qui accède à cette information. Au Burundi, le taux de connexion est de 6%. Cela veut dire que tout ce travail atteint essentiellement la diaspora mais ça ne peut pas dans la situation actuelle, replacer une radio qui émettait en FM avec des relais à l’intérieur du pays. Une énorme proportion du Burundi, n’ayant pas accès à ces alternatives, n’ont plus accès à des sources d’information indépendantes.
Les réseaux sociaux ont également joué un rôle essentiel, récemment, au Burkina Faso, explique Marie-Soleil Frère. La chercheuse souligne aussi, dans ce pays, le poids que peuvent avoir les commentaires des internautes.