L’intelligence artificielle sera-t-elle l’avenir du journalisme ? Pour Francesco Marconi, responsable de la recherche et du développement au Wall Street Journal, elle commence déjà à le transformer. Pourquoi, comment et dans quelle perspective ?
L’intelligence artificielle désigne des machines capables d’apprendre en vue de reproduire des tâches humaines. Bien que les technologies relevant de ce domaine soient encore à un stade précoce de développement, celles-ci sont promises à un avenir économique prometteur. Pour Francecso Marconi, cela annonce bien des changements dans le monde du journalisme. C’est pourquoi, indique-t-il, il est aujourd’hui important de réfléchir à la manière dont l’information est sourcée et relayée auprès des audiences. Pour lui, les plus petites rédactions risquent de se retrouver à la traîne si elles ne considèrent pas l’intelligence artificielle en tant qu’élément-clé, et cela d’autant plus que ces technologies n’entraînent pas forcément une implication financière importante.
Entre challenges et opportunités, Marconi analyse la manière dont l’IA est susceptible d’augmenter – et non d’automatiser, souligne-t-il – le journalisme. C’est ce qu’il appelle le « journalisme itératif », qu’il décrit comme un processus réactif informé par des données qui permet aux organisations médiatiques d’être pilotées – et non définies – par la technologie. C’est dans cet état d’esprit qu’il inscrit « Newsmakers. Artifical Intelligence and Future of Journalism », en vue d’expliquer comment l’IA peut être intégrée dans les rédactions pour appuyer un travail quotidien.
Construire un modèle pérenne
Aux Etats-Unis, plusieurs rédactions ont déjà intégré les technologies de l’IA : Forbes utilise ces technologies pour suggérer de manière automatique des textes ou des photos, The Washington Post a développé un système d’automatisation qui fait émerger les informations à valeur ajoutée, Associated Press s’en sert pour transformer des données structurées en textes dans les domaines sportifs et financiers, le paywall du Wall Street Journal est piloté par un algorithme dont la vocation est de prédire si un lecteur deviendra un nouvel abonné. De la collecte à la diffusion de l’information, en passant par sa production, ce sont tous les maillons de la chaîne éditoriale qui sont concernés. C’est pourquoi, le premier challenge est celui de construire un modèle pérenne, dans un contexte où les médias ne sont plus les premières portes d’entrée vers l’information ; et où le duo technologie et journalisme est générateur de tensions.
Pour Marconi, un premier problème est celui d’un modèle journalistique qui se trouve dans une période de transition. Les technologies de l’IA ne vont pas remplacer le travail des journalistes, affirme-t-il : au contraire, elles vont leur donner davantage d’opportunités pour les soutenir dans leurs routines quotidiennes. Dans ce nouveau monde de l’information, les machines ne sont donc pas des adversaires mais bien des alliées des professionnels de l’information. Toutefois, écrit-il, il s’agit de se détacher du modèle traditionnel linéaire « collecte – production – diffusion » pour s’inscrire dans un modèle dynamique où l’intuition du journaliste sera conjuguée avec « l’intelligence » de la machine.
Transformation et nouveaux profils
Le développement de l’intelligence artificielle dans les rédactions suppose de se poser cinq questions : celle du problème à résoudre, celle du processus pour le résoudre et la manière dont il peut être décomposé en étapes courtes, celle du droit sur les données utilisées, celle de la fiabilité des données, et celle de la prévention des erreurs car les données et les processus qui les automatisent n’en sont pas exempts.
Dans ce nouveau modèle qui se fonde sur les données, celles-ci doivent rencontrer des exigences de qualité pour garantir des processus journalistiques de qualité. Et elles doivent aussi être supervisées par un humain, une fonction qui peut, par exemple, être assurée par un « news automation editor ». Car si les technologies de l’IA n’ont pas pour vocation de remplacer les journalistes, elles participent à la transformation du métier et à l’arrivée de nouveaux profils dans les rédactions américaines. Dans ceux qu’il cite, Marconi souligne le rôle du « AI ethics editor », à la fois responsable de la transparence et de l’explicabilité des algorithmes à l’œuvre et chargé de la définition des bonnes pratiques. La transformation est aussi celle des processus journalistiques, plus dynamiques dès lors qu’ils s’inscrivent dans une perspective itérative.
Marconi Francesco, « Newsmakers: Artificial Intelligence and the Future of Journalism », Columbia University Press, New York, 2020, 216pp.