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Afrique : sans données de qualité, pas d’information de qualité

4 mai 2021

La récolte, la maintenance et l’accès à des données de qualité constituent un défi devenu majeur pour le continent africain. A la fois instrument de décision, outils de développement et matériau de base à une information de qualité, les données sont devenues une nécessité.


La pandémie de Covid-19 a mis en lumière la nécessité de disposer de données de qualité… mais aussi les lacunes fondamentales de données sanitaires et civiles.  Selon une enquête menée conjointement par la BBC et le Centre africain de statistiques de la Commission économique et sociale des Nations unies pour l’Afrique (UNECA), seuls huit pays sur 55 disposent de systèmes d’enregistrements de décès fonctionnels : l’Égypte, l’Afrique du Sud et la Tunisie, l’Algérie et les îles du Cap-Vert, Sao Tomé-et-Principe, les Seychelles et l’île Maurice. En Ethiopie, au Tchad et en Zambie, moins de 10% des enfants de moins de 7 ans ont été renseignés dans les registres de la population.

Une demande en données grandissante

Sans données de qualité, pas d’information de qualité… et pas d’instrument efficace dans l’aide à la prise de décision. Aussi, sans données fiables et précises, comment prendre des décisions adaptées en matière de prévention et de soins de santé ? Comment exercer sa citoyenneté si l’on n’existe nulle part ? Comment les journalistes peuvent-ils bien informer s’ils ne disposent pas du matériau de base à une information de qualité ? Les questions soulevées par ce manque de données sont nombreuses. Et elles sont aussi à envisager en termes d’opportunités pour les entrepreneurs qui souhaiteraient tirer parti de nouvelles technologies pour lesquelles disposer de données fiables, précises et à jour sont une nécessité. Toutefois, disposer des données n’est pas tout : encore faut-il bien les analyser, les interpréter et les raconter.

L’agenda 2063 de l’Union africaine a fixé vingt objectifs de développement durable et au moins trois fois plus de domaines prioritaires : comment mesurer ces cibles et indicateurs si l’on ne dispose pas des ressources statistiques suffisantes ? Dans le même temps, le développement de politiques actives en matière de récolte et de diffusion de données publiques n’est pas sans soulever de nouveaux défis. Ceux de la confiance envers les données, ceux de la protection de la vie privée, ceux de la gouvernance de ces données, et ceux de l’expertise technique qui sont également liés aux questions de formation et de formation continue.

Néanmoins, la situation s’améliore tout doucement. Au cours de la dernière décennie, l’indice de capacité statistique (SCI) mesuré par la Banque mondiale montre une progression de 1.2 points de 2004 à 2019. Mais un indice de 57.2 points, cela reste peu. Aussi, la moyenne africaine reste faible comparée à celle de la zone Asie-Pacifique (65,5) ou à celle de l’Europe (70,3).

« Réduire le fossé »

C’est en se fondant sur ces constats que le Partenariat statistique pour le développement au 21e siècle (PARIS21) et la Mo Ibrahim Foundation (MIF) se sont interrogées sur la manière de renforcer les données statistiques sur le continent africain. Dans un document de travail de 48 pages, « publié ce 30 avril, six pistes sont avancées pour « combler le fossé politique en matière de données ». Ces recommandations sont destinées aux bureaux nationaux de statistiques et aux gouvernements, pour améliore la production et l’utilisation de données dans le cadre de l’élaboration de politiques fondées sur des données factuelles. Car le « datagap » n’est pas qu’une question de ressources disponibles : aussi, le document souligne que peu de gouvernements font référence aux statistiques dans leurs documents politiques : 27% pour l’ensemble des pays africains, l’Afrique centrale et l’Afrique du nord tirant cet indicateur à la baisse.

La première recommandation porte sur le renforcement des capacités statistiques, lequel suppose des financements qu’ils soient nationaux ou s’inscrivent dans le cadre de partenariats en matière de coopération au développement. La deuxième recommandation porte sur le recrutement de professionnels qualifiés, lequel pourrait être stimulé par des partenariats avec les universités et des programmes d’apprentissage en ligne.

L’open data ou l’importance de la transparence

« Les données ouvertes sont la base de la transparence », souligne la troisième recommandation, « mais elles ne garantissent pas leur utilisation ». Une manière de faire serait de connecter les données à leurs utilisateurs potentiels, dans l’esprit du principe d’adéquation aux usages. Elle devrait également s’inscrire dans le cadre d’une stratégie de communications comprenant des points presse réguliers et des campagnes sur les réseaux sociaux. Les portails open data figurent bien sûr au centre de cette stratégie de transparence et, à ce propos, il est important de souligner que la plupart des pays africains utilisent un portail de données ouvertes… mais le rapport ne dit rien à propos de leurs qualités intrinsèques, lesquelles sont notamment liées à leur pertinence ou leur maintenance dans le temps. Si l’on prend l’exemple du Burundi, un groupe de presse indépendant, Iwacu, a décidé de lancer son propre portail de données ouvertes non seulement pour montrer les coulisses du travail de fourmi réalisée par son pôle de datajournalistes, mais aussi pour qu’elles puissent être profitables à ceux et celles qui souhaitent disposer de données fiables à propos du pays.

La quatrième recommandation du document de travail porte sur la reconnaissance de l’importance des statistiques dans l’élaboration de politiques économiques et sociales. Ce qui passe par ce que préconise la cinquième recommandation : la création d’un cadre juridique propice aux évolutions technologiques et à la réutilisation de données (partage, stockage, gestion de la vie prive, etc.). « Dans les pays où ce cadre existe déjà, leur mise en œuvre et leur application doivent être étroitement surveillés, et tout abus sanctionné ».

Enfin, pour encourager l’utilisation de données sur le plan décisionnel, la sixième recommandation appelle à inciter les agents de la fonction publique à utiliser davantage de données et de meilleure qualité. La formation est l’une des clés pour améliorer la compétence du personnel opérationnel et des cadres intermédiaires dans les instituts de statistiques.

 

Le document de travail « Bridging the data-policy gap in Africa » est disponible sur cette page.
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