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La production automatisée d’information dans les usages journalistiques : entre adhésions et résistances

Laurence Dierickx

2021-07-01

Communication aux rencontres internationale du journalisme, organisées à Valenciennes du 1 au 3 juillet 2021. Programme et détails sur le site Surlejournalisme.com


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Le phénomène de la production automatisée d’informations, qui se réfère à un processus de transformation de données structurées sous la forme de textes en langage naturel ou de toute autre forme de représentation visuelle, est souvent désigné par la métaphore du « robot journaliste ». Celle-ci nourrit des représentations duales reflétant les enjeux du phénomène : tantôt abordé en termes de menace sur l’emploi, voire sur l’identité professionnelle des journalistes (Graefe, 2016) ; tantôt perçu comme une opportunité, dans une vision enchantée d’un journalisme en réinvention (Van Dalen, 2012 ; Karlsen & Stavelin, 2014 ; Linden, 2017). L’automatisation de la production d’informations peut être envisagée comme servant à délivrer un pro- duit fini sans médiation journalistique. Son autre versant consiste à soutenir des pratiques professionnelles s’inscrivant dans le temps long de l’enquête ou dans l’immédiateté des routines quotidiennes. Dans ce dernier cas, il s’agit de prendre en charge des tâches routinières ingrates (Carlson, 2014) pour délivrer aux journalistes des brouillons automatisés qu’ils enrichiront de leur expertise (Latar, 2018 :29). Cette complémentarité entre le journaliste et la machine peut être envisagée comme une opportunité aux prémices de la chaîne de production éditoriale : le système d’information va traiter des faits bruts, tandis que le journaliste apportera la profondeur de la mise en contexte et de l’analyse (Thurman & al., 2017).

Considérant que l’on ne peut faire usage une technologie sans se la représenter (Musso, 2009 ; Flichy, 2001), de quelle manière les représentations sociales et les pratiques culturelles des journalistes vont-elles participer à la structuration des usages (et des non-usages) d’artefacts de la production automatisée d’informations, dès lors qu’ils sont abordés dans leur double condition matérielle d’objet et d’outil du journalisme ? Cette communication a pour objet d’expliquer les mécanismes de structuration des usages professionnels dans ce contexte, d’identifier les sources de résistance qui ne permettent pas de réaliser ces usages et, partant, de contribuer à une meilleure compréhension d’une relation homme-machine placée sous tension. Cette recherche s’appuie sur les cadres conceptuels et théoriques proposés par le modèle SCOT (Social Construction Of Technology), qui permet d’aborder l’artefact technologique en tant que résultat d’une construction sociotechnique (Pinch & al., 1987), et par l’école française de la sociologie des usages, qui aborde la problématique de l’usage dans la perspective de ses constructions collectives et individuelles (Jouët 1993, 2000). Elle s’appuie sur deux études de cas menées, sur une période totale de trois ans, dans deux rédactions belges francophones, lesquelles se distinguent tant par leur culture professionnelle, que par leur structure organisationnelle. Dans ces deux expériences d’usage, il s’agissait de suivre le processus d’une construction sociotechnique qui a activement impliqué les journalistes dans la conception des artefacts d’automatisation. Bien que cette première forme d’usage (Akrich 2006) ne garantisse pas des usages finaux, elle permet de poser les premiers jalons d’usages d’adoption.

La principale méthode de collecte de données empirique repose sur des observations participantes. Cette approche ethnographique embarquée a permis de suivre les évolutions dans le temps des représentations et pratiques (Boyer & Hannerz, 2006 ; Soulé, 2007). Il s’agit d’une méthode enrichissante mais inconfortable, dès lors qu’elle interroge le positionnement du chercheur (Horvat 2013), et elle a donc induit une posture de recherche entre engagement et distanciation (Elias 1993). Mais elle également a permis un accès à du matériel qu’il eût été impossible d’obtenir autrement, soit 18 réunions de travail, 268 échanges de courriels et 62 documents de travail hébergés sur une plateforme collaborative en ligne. S’agissant de changer d’angle d’observation au cours d’une même enquête, en vue de faire varier l’unité d’action et la position de l’observateur (Denis 2009) dans le cadre de l’étude d’un phénomène récent, ce dispositif a été complété par vingt entretiens semi-structurés, et quatre questionnaires d’évaluation auxquels les journalistes étaient invités à répondre de manière anonyme.

En tant que travailleurs, les journalistes ont toujours composé avec les technologies (Hardt, 1990), avec lesquelles ils entretiennent des relations ambigües depuis les premières heures de l’informatisation dans les rédactions (Powers, 2012). Les technologies informatiques ont ainsi pu être considérées tantôt comme des adversaires plaçant les professionnels sous pression, tantôt comme des alliées au service du journalisme. Ces relations ont également été caractérisées par des résistances, qui caractérisent une culture professionnelle refusant de bousculer ses valeurs (Deuze, 2005). Celles-ci ont pu prendre appui sur les modifications des pratiques professionnelles (Mico & al., 2013), un affaiblissement des lignes de démarcation entre les équipes journalistiques et techniques (Cottle & Ashton, 1999), une remise en cause organisationnelle (Ursell, 2001), ou le refus d’un phénomène technique vecteur d’imaginaires à la fois utopiques et dystopiques (Mosco, 2005 ; Domingo, 2008). Cette recherche s’inscrit dans cette perspective sociohistorique, tout en soulignant les spécificités inhérentes au domaine d’application, compte tenu du mécanisme complexe de la structuration des usages, qui va autant dépendre de facteurs endogènes (liés au contexte organisationnel et aux routines journalistiques) que de facteurs exogènes (liés aux cadres plus larges de l’imaginaire technologique et de la relation homme-machine).


Références

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BIJKER, W. E., HUGHES, T. P. et PINCH, T. (1987). The social construction of technological systems: New directions in the sociology and history of technology. MIT Press, Cambridge, Massachusetts.

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